XXe siècle n°53

sa vérité cachée. Le visage blanc, les cheveux roux, la fourrure fauve de mon interlocutrice nietzschéenne, qui avait éloigné d’un revers de main son compagnon pour parler plus à l’aise avec moi, donnaient à ses paroles la portée d’une démonstration théâtrale d’un secret intime.
Peintre d’un immense double jeu (européen / américain, juif allemand / parisien), fuyant l’Europe par l’Amérique et l’Amérique par l’Europe, Richard Lindner n’a peut-être fait de la peinture que pour se créer la parade nécessaire à la violence de tous les entourages successifs de sa vie: celle du nazisme et de l’antisémitisme en Allemagne, celle de la rivalité et de l’individualisme forcenés en France, celle du gangstérisme et de l’argent aux Etats-Unis. Les femmes qu’il peint sont, aussi, les boucliers qu’il s’invente pour se protéger du retour de tous ces dangers, en oiseaux de proie, sur sa vie. Leurs artifices, leur allure d’actrices interlopes ou de tenancières de bordels métaphysiques sont investis d’une mission personnelle contre des puissances d’autant plus redoutables qu’il les admire autant qu’il les hait, parce qu’elles ne se confondent jamais tout à fait ni avec des Etats, ni même avec des idéologies politiques.
Pour Lindner,  l’homme n’est qu’une carte à jouer dans  la  vie

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des femmes. Ou il s’y plie, ou il est condamné à demeurer exclu de leur jeu. Mais en s’y pliant, il peut lui arriver, par hasard, de gagner. Sa peinture porte la marque de cette apparente soumission à des règles créées par d’autres: les femmes, les institutions, les grandes villes, le monde industriel moderne tel qu’il est. On ne saisira donc sa liberté qu’en acceptant d’abord qu’il fasse semblant de l’abandonner. Pour Lindner, l’admiration de la force féminine est la seule manière de la circonvenir. Le malaise que provoquent ses tableaux chez certaines femmes vient peut-être de là : elles s’y voient à la fois célébrées dans leur nouveau rôle dominant, et mises habilement à distance. Lindner les pare de toutes les couleurs du même arc-en-ciel que les hommes, mais en les exposant de telle manière au premier plan – telle cette chaussure à talon haut posée à la hauteur du menton d’un homme – qu’elles sont confusément obligées de se découvrir aussi seules, dans leur « souveraineté », qu’elles l’ont été dans leur réel esclavage. Pourtant, Lindner ne les juge pas, ne les idéalise pas, et moins encore ne les condamne: il leur renvoie, pour la première fois dans l’histoire de la peinture, l’image mythique de dominatrice du réel   sans   laquelle  aucune  société   du  monde   actuel   ne

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sa vérité cachée. Le visage blanc, les cheveux roux, la fourrure fauve de mon interlocutrice nietzschéenne, qui avait éloigné d’un revers de main son compagnon pour parler plus à l’aise avec moi, donnaient à ses paroles la portée d’une démonstration théâtrale d’un secret intime.
Peintre d’un immense double jeu (européen / américain, juif allemand / parisien), fuyant l’Europe par l’Amérique et l’Amérique par l’Europe, Richard Lindner n’a peut-être fait de la peinture que pour se créer la parade nécessaire à la violence de tous les entourages successifs de sa vie: celle du nazisme et de l’antisémitisme en Allemagne, celle de la rivalité et de l’individualisme forcenés en France, celle du gangstérisme et de l’argent aux Etats-Unis. Les femmes qu’il peint sont, aussi, les boucliers qu’il s’invente pour se protéger du retour de tous ces dangers, en oiseaux de proie, sur sa vie. Leurs artifices, leur allure d’actrices interlopes ou de tenancières de bordels métaphysiques sont investis d’une mission personnelle contre des puissances d’autant plus redoutables qu’il les admire autant qu’il les hait, parce qu’elles ne se confondent jamais tout à fait ni avec des Etats, ni même avec des idéologies politiques.
Pour Lindner,  l’homme n’est qu’une carte à jouer dans  la  vie

des femmes. Ou il s’y plie, ou il est condamné à demeurer exclu de leur jeu. Mais en s’y pliant, il peut lui arriver, par hasard, de gagner. Sa peinture porte la marque de cette apparente soumission à des règles créées par d’autres: les femmes, les institutions, les grandes villes, le monde industriel moderne tel qu’il est. On ne saisira donc sa liberté qu’en acceptant d’abord qu’il fasse semblant de l’abandonner. Pour Lindner, l’admiration de la force féminine est la seule manière de la circonvenir. Le malaise que provoquent ses tableaux chez certaines femmes vient peut-être de là : elles s’y voient à la fois célébrées dans leur nouveau rôle dominant, et mises habilement à distance. Lindner les pare de toutes les couleurs du même arc-en-ciel que les hommes, mais en les exposant de telle manière au premier plan – telle cette chaussure à talon haut posée à la hauteur du menton d’un homme – qu’elles sont confusément obligées de se découvrir aussi seules, dans leur « souveraineté », qu’elles l’ont été dans leur réel esclavage. Pourtant, Lindner ne les juge pas, ne les idéalise pas, et moins encore ne les condamne: il leur renvoie, pour la première fois dans l’histoire de la peinture, l’image mythique de dominatrice du réel   sans   laquelle  aucune  société   du  monde   actuel   ne

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