J’ai beaucoup fréquenté Richard Lindner aussi bien à New York qu’à Paris, où il m’accueillait dans son atelier de la rue des Saints-Pères. Cependant jamais je ne le voyais peindre. Il était aussi raffiné et chaleureux que savaient l’être parfois les peintres de sa génération avec les jeunes artistes qui recherchaient leur compagnie. Au contraire d’aujourd’hui: les jeunes artistes ne viennent pas à notre rencontre, sans que nous en éprouvions de dépit.
La mort dans un accident de voiture en Normandie de Denise, sa femme et l’amie de sa maturité, m’avait beaucoup troublé. J’admirais Lindner, j’admirais Saul Steinberg, je les admire toujours. Tous deux ont pastiché, avec cruauté quelquefois, cette Amérique qui les avait accueillis. Tous deux se sont éteints, ce qui rend New York moins intéressant pour moi. La dernière soirée passée avec Richard précéda la nuit de sa mort. Saul Steinberg inaugurait son exposition rétrospective au Whitney Museum à New York, en 1978. Saul et moi tenions à finir notre soirée au Cotton Club ; nous avions insisté pour que
Richard Lindner nous y accompagnât avec d’autres amis venus d’Europe pour l’occasion, sans succès. Il s’excusa en expliquant qu’il connaissait Harlem et ses réjouissances par cœur, qu’il s’en désintéressait et préférait rentrer chez lui Il s’installa dans son salon devant la télévision, ôta son nœud papillon, déboutonna sa chemise et mourut. Dans sa correspondance avec Aldo Buzzi, Saul Steinberg évoque ainsi sa disparition : « Mort dans son sommeil à 77 ans, sans maladies, opérations ni tortures. » En 1999, je lui ai rendu hommage en lui consacrant une huile sur toile aux mesures imposantes, Le jour que Richard Lindner est mort. Je l’ai entourée d’un cadre constitué de nombreux miroirs ce nés de baguettes ouvragées et dorées. Attendu par les écureuils de Central Park et l’une de ses walkyries transformée par mes soins, Richard élégant et hiératique bascule depuis le pont suspendu de Brooklyn, dont Robert Goffin rêvait sur ses atlas ; le papillon en haut à droite du tableau incarne son vers « Imaginez le vol incroyable d’un papillon dans Fifth Avenue ». Si on prête l’oreille, le disque noir émettra la musique syncopée du jazz de Harlem ou de la Famous Door, dans la 52e Rue. Pour cette exposition, je lui ai aussi dédié huit portraits, à ma façon, de dames lindnériennes : femmes cachées sous de gigantesques lunettes déployant d’énormes bouches à faire peur. Sans battre des cils, les Golden Girls avalent la vie.
J’ai beaucoup fréquenté Richard Lindner aussi bien à New York qu’à Paris, où il m’accueillait dans son atelier de la rue des Saints-Pères. Cependant jamais je ne le voyais peindre. Il était aussi raffiné et chaleureux que savaient l’être parfois les peintres de sa génération avec les jeunes artistes qui recherchaient leur compagnie. Au contraire d’aujourd’hui: les jeunes artistes ne viennent pas à notre rencontre, sans que nous en éprouvions de dépit.
La mort dans un accident de voiture en Normandie de Denise, sa femme et l’amie de sa maturité, m’avait beaucoup troublé. J’admirais Lindner, j’admirais Saul Steinberg, je les admire toujours. Tous deux ont pastiché, avec cruauté quelquefois, cette Amérique qui les avait accueillis. Tous deux se sont éteints, ce qui rend New York moins intéressant pour moi. La dernière soirée passée avec Richard précéda la nuit de sa mort. Saul Steinberg inaugurait son exposition rétrospective au Whitney Museum à New York, en 1978. Saul et moi tenions à finir notre soirée au Cotton Club ; nous avions insisté pour que
Richard Lindner nous y accompagnât avec d’autres amis venus d’Europe pour l’occasion, sans succès. Il s’excusa en expliquant qu’il connaissait Harlem et ses réjouissances par cœur, qu’il s’en désintéressait et préférait rentrer chez lui Il s’installa dans son salon devant la télévision, ôta son nœud papillon, déboutonna sa chemise et mourut. Dans sa correspondance avec Aldo Buzzi, Saul Steinberg évoque ainsi sa disparition : « Mort dans son sommeil à 77 ans, sans maladies, opérations ni tortures. » En 1999, je lui ai rendu hommage en lui consacrant une huile sur toile aux mesures imposantes, Le jour que Richard Lindner est mort. Je l’ai entourée d’un cadre constitué de nombreux miroirs ce nés de baguettes ouvragées et dorées. Attendu par les écureuils de Central Park et l’une de ses walkyries transformée par mes soins, Richard élégant et hiératique bascule depuis le pont suspendu de Brooklyn, dont Robert Goffin rêvait sur ses atlas ; le papillon en haut à droite du tableau incarne son vers « Imaginez le vol incroyable d’un papillon dans Fifth Avenue ». Si on prête l’oreille, le disque noir émettra la musique syncopée du jazz de Harlem ou de la Famous Door, dans la 52e Rue. Pour cette exposition, je lui ai aussi dédié huit portraits, à ma façon, de dames lindnériennes : femmes cachées sous de gigantesques lunettes déployant d’énormes bouches à faire peur. Sans battre des cils, les Golden Girls avalent la vie.